Très largement utilisée, la compression de données est une opération de codage nécessaire pour réduire la taille de transmission ou de stockage des données. Cette opération informatique consiste à transformer une suite de bits donnée en une suite de bits plus courte pouvant restituer les mêmes informations, ou des informations voisines, en utilisant un algorithme de décompression. Il existe donc deux grandes familles d'algorithmes de compression : les algorithmes de compression sans perte qui restituent après décompression une suite de bits strictement identique à l'originale. Et les algorithmes de compression avec perte qui restituent une suite de bits qui est plus ou moins voisine de l'originale selon la qualité désirée. Les premiers sont donc utilisés pour les archives, les fichiers exécutables ou les textes, alors que les derniers sont utiles pour les images, le son et la vidéo.
Pour la compression de données sans perte, on distingue principalement le codage entropique (codage de Huffman et codage arithmétique principalement) et le codage algorithmique. Le codage arithmétique permet une compression équivalente ou meilleure (selon le cas) à celle du codage de Huffman, mais il ne fut que peu utilisé, car son implémentation était trop complexe, et donc coûteuse en termes de calcul. C'est là que l'ANS entre en jeu.
L'Asymmetric numeral systems (ANS) est une famille de méthodes de codage entropique introduite par Jarek Duda, un chercheur de l'Université Jagellonne, et qui est utilisée dans la compression des données depuis 2014 en raison de l'amélioration des performances par rapport aux méthodes précédemment utilisées. L'ANS combine le taux de compression du codage arithmétique avec un coût de traitement similaire à celui du codage Huffman.
Avec ces avantages, l'ANS a été rapidement adopté par les entreprises de la technologie. Il a par exemple été utilisé dans l'algorithme de compression ZStandard de Facebook. Apple l'a également incorporé dans son algorithme de compression LZFSE. Google en a fait de même, en utilisant cette technique non seulement dans sa bibliothèque Draco de compression de graphiques 3D, mais encore pour son format d'image pour le Web appelé Pik. Tout cela a été possible parce que Jarek Duda a décidé de mettre son travail dans le domaine public.
Google cherche à breveter l'ANS
En juin 2017, nous avons rapporté que Google cherche à breveter une méthode de compression vidéo basée sur l'ANS, ce qui a rendu furieux le chercheur de l'Université Jagellonne. « Une belle façon de remercier un pauvre universitaire de la part d’une firme de plusieurs milliards de dollars qui prône le "Don't be evil" », disait Jarek Duda. Il a critiqué Google pour avoir exploité son travail gratuitement et bénéficié de son aide pour enfin vouloir breveter ce qu'il considère comme son travail. « À un moment donné, ils m’ont donné l’espoir d’une collaboration avec mon université, puis silence radio… probablement en raison de cette démarche de brevet », avait-il déclaré. Selon Jarek, si jamais ce brevet est accordé à Google, les gens auront peur d’utiliser l'ANS pour la compression d'image et vidéo durant les 20 prochaines années, ce qui pourrait paralyser la méthode comme cela a été le cas avec le codage arithmétique.
Ce que Google veut breveter, c'est l'utilisation de la méthode ANS pour la compression vidéo. La question est donc de savoir si le travail supplémentaire de Google est assez significatif pour qu'on puisse le considérer comme une invention. De l'avis de Google, oui. La firme de Mountain View rejette l'idée selon laquelle elle serait en train de tenter de breveter le travail de Jarek Duda. Un porte-parole de l'entreprise aurait en effet soutenu que l'universitaire a juste proposé un concept théorique qui n'est pas directement brevetable, alors que ses avocats cherchent à breveter une application spécifique de cette théorie qui reflète le travail supplémentaire des ingénieurs de Google.
Bien évidemment, Jarek Duda n'est pas de cet avis. Le chercheur estime pour sa part que cette « invention » de Google n'est qu'une simple application de l'ANS à un pipeline de décodage vidéo conventionnel. Cette affirmation se baserait sur le fait que la compression d'images et de vidéos fonctionne fondamentalement de la même manière que la compression de texte. Si c'est le cas, alors les algorithmes ANS pourraient être utilisés pour coder des données d'image à partir d'une vidéo aussi facilement qu'une chaîne de symboles alphanumériques.
Les schémas de compression vidéo les plus efficaces représentent les trames vidéo en tant que blocs de pixels et utilisent des transformations mathématiques pour représenter ces blocs en utilisant des symboles qui peuvent être compressés efficacement. La seule innovation significative de Google, selon Duda, serait l'utilisation de l'ANS pour coder ces symboles.
Mais Duda va plus loin en expliquant qu'il avait même suggéré la technique exacte que Google essaie de breveter dans un échange en 2014 avec des ingénieurs de l'entreprise. On peut voir d'ailleurs dans une discussion Google Groupes que Jarek Duda proposait d'échanger avec Google sur ce sujet : « Je voudrais proposer une discussion sur la possibilité d’appliquer [l'ANS] dans la compression vidéo comme VP9 - il devrait être plus de 10 fois plus rapide que le codage arithmétique, offrant un taux de compression similaire », avait-il écrit.
L’Office américain des brevets publie un rejet non définitif de la demande de brevet de Google
La semaine dernière, l'office américain des brevets a publié un rejet non définitif de toutes les revendications de la demande de Google. L'examinateur a rejeté les revendications pour un certain nombre de motifs. Premièrement, il a conclu que les trois revendications les plus larges étaient inéligibles dans Alice v CLS Bank, selon lequel les idées abstraites ne deviennent pas éligibles à un brevet simplement parce qu'elles sont mises en œuvre sur un ordinateur générique. L'examinateur a rejeté toutes les revendications pour des raisons de clarté et pour des fonctions qui ne sont pas décrites de manière suffisamment détaillée (les déposants sont souvent en mesure de surmonter ce type de rejet avec une modification).
L’examinateur a également rejeté toutes les revendications de Google comme évidentes à la lumière des travaux de Duda, associées à un article de Fabian Giesen et à un brevet de 20 ans sur la gestion des données dans un décodeur vidéo. Duda avait présenté un mémoire en tant que tierce partie pour s'assurer que son travail était soumis à l'examinateur. Il s’agit en particulier d’un rejet non définitif (et même les refus définitifs à l’office des brevets ne sont pas vraiment définitifs). Cela signifie que Google peut toujours modifier ses revendications et / ou faire valoir que l'examinateur s'est trompé.
Pour l'EFF (Electronic Frontier Foundation), un défenseur des droits numériques, il est temps pour Google d'abandonner ses tentatives !
« Il est temps que Google abandonne sa tentative de breveter l'utilisation de ANS pour la compression vidéo. Même si cela pouvait vaincre le rejet de l’examinateur, cela ne ferait que refléter les faiblesses d’un système de brevets qui délivre des brevets pour de très petites variantes des méthodes existantes. Il se peut que Google recherche le brevet uniquement à des fins défensives. Dans d'autres contextes, Google s'est efforcé de rendre les codecs vidéo libres de droits. Mais cela ne permet pas à l’une des plus grandes entreprises du monde d’obtenir un brevet logiciel sur une modification mineure du travail de quelqu'un d’autre. Il est peut-être improbable que Google revendique un brevet ANS à court ou à moyen terme. Mais de nombreuses entreprises autrefois dominantes se sont tournées vers leurs portefeuilles de brevets alors que leur star s'était estompée.
« ANS ne devrait pas appartenir à des géants de la technologie prêts à faire passer des applications par un bureau des brevets conforme. ANS devrait appartenir à nous tous ».
Source : EFF, rejet non définitif de la demande de brevet de Google
L'Office américain des brevets publie un rejet non définitif de la demande de brevet de Google
Concernant sa technique de compression de vidéo basée sur l'ANS
L'Office américain des brevets publie un rejet non définitif de la demande de brevet de Google
Concernant sa technique de compression de vidéo basée sur l'ANS
Le , par Stéphane le calme
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